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Mu, entre sud et nord

12 et 13 janvier 2017

Nous partons de Noro, le vent face à nous et nous tirons des bords entre l’île deNouvelle Georgie et l’île de kolombangara. La mer est ici comme un grand fleuve tellement les rives sont proches, passage des thoniers, des bateaux transportant des troncs de bois, des portes-containers, une odeur de cuisson de thon flotte dans l’air, amenée par l’usine de conserverie installée sur la rive. Des globicéphales nous accompagnent un moment ; le ciel est extrêmement nuageux, l’air est moite, il fait très chaud ; c’est lent, très lent de tirer des bords dans ce quasi-fleuve et ce n’est qu’à la nuit tombée que nous en venons à bout : nous nous éloignons des îles et prenons la direction vers le nord ; nous mettrons en fait 24 heures pour nous dégager de l’emprise des Salomon, pas de vent, surface lisse de la mer, toute la nuit au moteur,dans l’énorme lumière d’une pleine lune qui crée un demi-jour. Au petit matin, nous arrivons à la pointe de l’île de Choiseul. C’est un passage délicat parsemé d’îles et d’îlots ; toujours pas de vent, pas un souffle de vent, pas un bruit hormis celui du moteur, atmosphère lourde chargée de pluie, comme si quelque chose était attendu mais quoi ? Comme si quelque chose allait se passer, mais quoi ? Nulle habitation, les îles pleines de mangrove, désertes, le coin doit être infesté de crocodiles. A la surface, surgissent des petits dauphins. Nous apercevons aux jumelles une pirogue avec deux personnes à bord, puis une autre qui rame à toute vitesse dans notre direction,comme si elle voulait couper notre direction, aller à notre rencontre, nous passons vite, un courant de cinq nœuds nous propulse loin des îles, nous sortons de leur sortilège. Encore une heure de moteur, nous dépassons l’île de Choiseul, enfin délivrés des Salomon. Nous apercevons une baleine et son baleineau.

 

 

14 janvier

Cinq degrés de latitude Sud, cinq nœuds de vent apparent de face autrement dit pas de vent, mer plate, ridée de toutes parts, de petites rides réparties sur toute sa surface et sa surface est immense, tendue autour de nous comme un toile d ‘araignée, légère houle qui soulève le bateau et le laisse retomber, comme quelqu’un qui respire, là, dessous, des effets de lumière se créent, la mer a ce bleu profond, liquide des grandes profondeurs et autour du bateau ,des traits de lumière blanche rayonnent, il fait une chaleur écrasante, comme si toute la chaleur se concentrait sur le bateau. A 5 degrés de latitude, 1900 mètres de profondeur, on coupe le moteur et on se jette à l’eau, l’eau est presqu’aussi chaude que l’air, chargée de petites particules, sans doute du plancton, et en même temps, absolument limpide; avec le masque sous l’eau, on observe ces rayons blancs qui la traversent et se réunissent loin, très loin en-dessous, les enfants plongent, leur corps entouré de dizaine de bulles, comme un corps qui se forme contre leur corps.

Un long nuage noir marque la présence de l’île d’Ontong Java, à 30 milles de là.

Sur notre gauche, en plein ouest, un coucher de soleil différent dans toute sa longueur, par ses nuances de rose, par la forme des nuages qui le soutiennent; à l’est, un ciel aux couleurs éteintes, en sourdine.

La nuit a alterné avec des périodes de calme, traversées au moteur et des moments où la pluie s’abattait soudainement, générant un vent subit de vingt nœuds, nous profitons de cette aubaine de vent pour éteindre le moteur, mettre les voiles et se laisser emporter par le vent. La lune encore pleine répandait autour de nous une lumière blanchâtre, irréelle.

Quand l’ombre fait taire les îles et le soir les absorbe, le noir les efface, nous passons absorbés par les ombres; il ne reste de nous qu’une éphémère trace que le vent efface et la mer revient à la mer

l’ombre à l’ombre; dans le ciel, une pâle lune, une fine faille dans laquelle pourtant je glisse. La lumière.

 

 

15 janvier

Chaleur écrasante, ciel nuageux, alternance de voile et de moteur, l’atmosphère ne change pas et nous nous installons dans cette navigation sans éclat. Nous profitons de ce rythme ralenti pour faire ce qu’il nous plait: jeu de lego, lecture à haute voix d’ Harry Potter par Pierre ou Elanore, jeux sur la tablette, films, lecture, écriture, musique, gymnastique. Autour la mer, lancinante, sereine. Une belle navigation en fait, lente, calme, à la mer plate que l’on préfère à la mer hachée et son rythme rapide. Une baleine aperçue brièvement au loin, on n’est pas seul quand même. Difficile de se le persuader tellement le paysage marin, le ciel immense au-dessus est notre seul univers. Monde dépossédé des hommes, absolument liquide, même le ciel est liquide et coule au-dessus de nous. Pays de mer et de ciel. D’eau, liquide ou vaporeuse, bleue. Pays du bleu, bleu argent de la mer, bleu violine autour du bateau, bleu tendre, bleu délavé du ciel, gris bleu, blanc bleuté des nuages. Un cercle est apparu au centre d’un nuage, aux couleurs d’un arc-en-ciel, vapeur d’eau décomposée par la lumière du soleil et déployant son arc de couleurs, comme la queue d’un paon fabuleux niché dans un nuage blanc. Arc-en-ciel ou plus justement cercle-en-ciel apparaît et disparaît.

Trois degrés de latitude sud, nous nous approchons lentement de l’Equateur, ce consciencieux coupeur de monde en deux, ce créateur de deux hémisphères chimériques. La dernière fois que nous avons atteint l’Equateur c’était en 2006, nous étions au large de l’Equateur, le pays qui porte le nom de la ligne, au près, dans notre petit bateau, très penché, secoué, nous avons bu un toast à la santé de l’Equateur, passage de ligne, passage de temps, car sans le prévoir, nous nous sommes arrêtés en Equateur pour réparer notre réservoir d’eau; et Elanore est apparue dans le giron maternel, elle porte d’ailleurs comme troisième prénom Bahia, pour Bahia de Caraques, comme chacun de nos enfants porte le prénom lié à leur lieu de pré-naissance, Lucile, à Tahiti, Hinatea, Alice, à l’île de Pâques; Anakena.

 

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16 janvier

Une nuit au moteur, un matin au moteur, le vent n’est pas revenu et la mer est de glace tellement elle reflète le ciel, une petite houle s’est installée depuis hier soir, rendant un peu désordonnés les mouvements du bateau mais rien de bien important. Nous apercevons d’énormes troncs qui dérivent du nord, il font bien plus de dix mètres de long, c’est impressionnant, peut -être y a t-il eu une grosse tempête plus au nord, sur une île suffisamment boisée avec des arbres très grands qui pourraient être déracinés, je ne vois pas parmi les îles les plus proches, l’île le plus au nord, la plus grande et la plus boisée, est celle de Ponape, notre destination, à 550 milles d’ici. Le premier tronc que nous avons aperçu, on a d’abord cru à une baleine tellement il était grand, mais il ne bougeait pas et on s’est rapidement aperçu que c’était un tronc qui dérivait. On voit également des déchets en plastique qui dérivent: bouteilles, canettes, détritus… Les courants peuvent charrier des tonnes de déchets et de débris et créer même un continent flottant, un 6ième continent. Etant donné le peu de vent de la zone, les déchets doivent s’accumuler et le courant tourner sur lui-même.

Ce matin, la couleur de l’eau autour du bateau était fascinante: bleu lapis-lazulli, violine, encre, avec de grands rayons blancs qui ondulaient, on aurait dit une étoffe flottant dans le vent, mouvante, et attachée au bateau, avec la texture veloutée du velours, satinée du satin et alors que le fond est abyssal, le fond paraissait si proche.

Dans deux jours, nous devrions nous dégager du pot-au-noir et toucher le vent, toucher le vent, oui comme si on l’avait au bout de ses doigts.

Le pot-au-noir, évidemment cette expression, on la rencontre bien avant de vivre la réalité de ces mots. Elle rappelle les récits des navigateurs, je me souviens du poème « le poteau noir « tiré du recueil« Au coeur du monde» de Blaise Cendrars. Je suis allée le reprendre dans la bibliothèque du bateau, ce livre m’a accompagnée depuis de longues années, j’ai presque fait le tour de la terre avec lui, et maintenant au milieu du Pacifique, à 200 milles de la ligne, en plein pot-au-noir, je lis « le poteau noir ». La vie est parfois parfaite. Pot-au-noir, poteau noir, pot-eau-noire, pote-au-noir, peau-ô-noire..

J’ai un de mes arrières-grands-pères qui a été mousse sur un gros bateau qui l’a emmené jusqu’en Argentine; une partie de ma famille s’est installée en Argentine du côté de Pigüe et y est encore, ils ont dû connaître le pot-au-noir dans leurs traversées transatlantiques. Je me souviens des objets récupérés des navigateurs de jadis que nous a montré, dans son jardin, le sculpteur rencontré aux îles Salomon, il y avait des pipes moulées sculptées avec un trois-mat sur un côté et une ancre sur l’autre côté. Peut-être que mon arrière-grand-père mousse en avait une, lui aussi?

La mer est complètement huileuse, elle dilue toutes les lumières du ciel, partout émergent des bâtons de bois verticaux, et la forêt flottante des grands arbres. On est sur le qui-vive, on voit des grands troncs qui flottent et dérivent de tous côtés, parfois on est pris dans un tourbillon de déchets. Les troncs qui flottent ne sont pas calibrés, ils ont été directement arrachés à la terre, il y a aussi des poissons qui sautent, un thon aperçu. On a mis les deux lignes à l’eau. À l’horizon, on a soudain vu quelque chose qui émergeait, on a cru un moment que c’était une barque tellement c’était gros, l’objet s’est fait dériver, s’est éloigné de nous, sans que nous ayons pu savoir exactement ce que c’était. Je ne sais pas ce qui est le plus dangereux, les crocodiles ou les arbres qui dérivent. Le vent est de cinq noeuds de face, autrement dit aucun vent ne souffle, la chaleur est écrasante.

La mer est un désert aux dunes d’eau, si calme.

La dérive des arbres a cessé: on s’est baigné par 2085 mètres de fond. Vertige du vide.

 

 

17 janvier

C’est le second jour que l’on fait du plein est pour atteindre un bon angle de vent quand le vent sera là. On s’est éloigné des deux iles Nukuoro et Kapingamarangi.

Dans l’après-midi, les voiles sont tendues: le vent est revenu.; nous allons à quatre nœuds, un courant à un noeud contre nous. Après les arbres qui dérivent, le courant contre nous!

Le paysage a totalement changé: c’est une mer sombre, écrasée, cassée de petites vaguelettes. En trois points du ciel, il pleut. De fabuleux nuages, d’énormes cumulus chargés de pluie, gris, sont arrêtés au-dessus de traînées noires qui s’étendent jusque dans l’eau. De l’autre côté, un double arc-en-ciel se déploie entre des nuages gris clairs. On dirait que se joue une pièce de théâtre.

La nuit au moteur jusqu’au lendemain.

 

18 janvier

Moteur le matin, voile l’après midi. 10 nœuds de vent, le bateau va à 3-4 noeuds, un nœud de courant en notre faveur. Mer mate, ciel gris. Le vent est contre nous, nous sommes au près, c’est inconfortable.

Deux mouettes.

 

19 janvier

La nuit dernière nous avons passé la ligne d’Equateur au moteur. De l’hémisphère sud vers l’hémisphère nord, le GPS a marqué:

S00°00’00 »

puis

N00°00’00 »

vertige des zéros

Poème de la ligne.

Il est 11h, la nuit a pris sa cargaison d’encre, le ciel s’est rempli de croix, de lumières, notre chemin de croix, de lumières. La lune, comme le quartier d’une pomme d’or, nous sourit. Vent de misère, chant de marin, moteur, on tourne, autour du monde. Zéro de latitude, on remet à zéro les compteurs; l’Equateur est notre ligne de faille; passage de la ligne, d’un hémisphère à l’autre, nous allons, passage du temps, dans nos cerveaux, nos hémisphères, passage du temps sur nos vies éphémères, il y a dix ans, nous passions déjà d’un hémisphère à l’autre, à l’envers, ou à l’endroit c’est selon, la terre coupée en deux et pourtant une seule sphère, du Sud au Nord.

Le matin, le vent est là, bien là. C’est un vent de nord-est qui évolue vent d’est dans l’après midi. Quinze nœuds de vent, six nœuds à la voile. Nous faisons maintenant et enfin, route directe vers le nord, vers Ponape. C’est un vent d’alizé. Le temps alterne avec des grains, le ciel est gris, pluvieux, un vrai ciel d’hémisphère Nord. Pleure t-il le sud?

 

 

20 janvier

Au près, mais le vent étant de moins de dix nœuds, l’allure n’est pas désagréable. La mer est sombre, dépassionnée, recouverte d’une chape grise.

A cinq cents mètres de nous, lorsque nous nous sommes levés ce matin: un bateau. C’est un bateau de pêche, brinquebalant, défraîchi, rouillé, qui tangue lourdement d’une vague à l’autre. Pourtant, il doit venir de loin, son pavillon est taiwainais. Nous sommes encore dans les eaux internationales et il doit être parti depuis des mois pour la pêche, ses congélateurs doivent regorger de poissons. Le bateau s’approche, il est à cent mètres de nous, l’équipage , cinq marins est sur le pont, ils nous regardent ahuris, tout autant que nous le sommes. Des saluts de la main, ils repartent, cahin-caha.

 

21 janvier

Depuis trois heures du matin cette nuit, le vent est tombé jusqu’à seize heures cette après-midi, il n’y aura aucun vent. Le Pot-au-noir nous colle à la peau au noir, nous restons accrochés au poteau noir. Nous en profitons 1/ pour faire des crêpes 2/ pour fêter le passage de l’Equateur avec les enfants, par une incantation à Neptune et Eole. A 16h, l’incantation avait réussi, le vent est revenu d’un coup: quinze nœuds est, nous sommes à 200 milles des côtes de Ponape, alors que ce matin, de 9h à 14 h, nous avons parcouru seulement 14 milles.

Quelques heures plus tard, il faut dire ce qu’il est, l’incantation était loufoque car le vent est retombé dans sa platitude de moins de dix nœuds.

Baignade le matin: l’eau avait la couleur bleue du grand océan; lorsque nous sommes passés sous les coques, la houle nous rabattait contre la nacelle, je me souviendrais longtemps avoir roulé dans un couloir de saphirs.

 

 

22 janvier

Lune halo nuages, noirs et gris. Huile noire de la mer.

Cette nuit nous avons parcouru quatre milles , nous avons même fait un demi-tour sur nous-mêmes tellement le vent était absent.

Aube rouge, rose, rosée du matin, matinales pensées sans détour, détournement de chemin, cheminement de pensées sans détour, détournement de chemin, cheminement de pensées sans détour, détournement de chemin, bref nous avons tourné en rond.

Pas de vent, crêpes le matin.

Jusqu’à huit heures du matin: le vent qui passe d’un côté de l’autre du bateau, le génois à faire passer d’un côté de l’autre, la bôme qui tape d’un côté de l’autre, de lourds coups de bôme au rythme de la houle, presque tout le poids du bateau qui passe d’un côté de l’autre.

Puis le vent a repris, faiblard, geignard, un petit vent de moins de dix noeuds qui nous fait aller entre deux et trois noeuds, là où les prévisions meteo indiquaient des vents de vingt nœuds, comme si ce lieu était en dehors des prévisions météo, en dehors d’un système rationalisable, d’études et d’analyses, en dehors du monde.

Nous allons vers l’île de Ponape, en Micronésie. Cette île a été considérée comme le lieu de Mu, le continent englouti, la cité cachée, l’Atlantide du Pacifique. Mu, en calligraphie japonaise, le vide, « un vide de parole qui constitue l’écriture. » selon Roland Barthes, Mu située sur l’île de Pâques, comme le suggère Corto Maltese, ou Mu située sur l’île de Ponape, près de Nan Madol, ces hauts pavements érigés où l’on honorait les dieux? Qu’allions nous trouver à Ponape? Le plus fascinant dans les pays que nous traversons, c’est tout ce que nous ne faisons qu’effleurer et que nous ne trouvons pas, les légendes, les secrets, les diables qui hantent ces peuples de l’océan Pacifique et dont la connaissance, la dimension nous échappe. Tout ce vide, ces interstices que nous pressentons sans jamais les atteindre, les toucher, s’y immiscer.

Nous quittons les mers du Sud, nous avons pu dire que nous avons habité les mers du Sud, mais est -ce habiter que de vivre sur un bateau, pourrait-on habiter la mer? Le bateau, la mer ne nous a pas quitté pendant toutes ces années.

Pacifique Sud pour Pacifique Nord, un même Pacifique cisaillé par un Equateur invisible, la ligne des zéros de latitude, la ligne du vide, celle de Mu. Celle aussi de l’enchantement d’une cité rêvée.

Je repense à ces villages traversés depuis le Vanuatu, qu’est-ce qui anime la vie de ces habitants, de quoi est fait une vie? Certains le savent: gold, glory et même god si on y croit.

La recherche de possessions matérielles ne rend pas plus heureux, disons qu’elle occupe nos vies d’occidentaux, qu’elle nous empêche de penser à une autre vie.

Le vent a repris et avec lui, le ciel est devenu tourmenté: d’énormes cumulus comme des champignons atomiques ont poussé dans le ciel, menaçant de pluie notre route. Nous profitons du vent. Lorsque les nuages auront lâché leur cargaison de pluie, le vent cessera. Le ciel redeviendra cet espace gris, cotonneux, dépassionné.

Ça y est, on y est, c’est accompli: le calme.

 

23 janvier

Ile en vue, ou ce qu’il en reste, croquée par les nuages, on arrive dans le vent, la tourmente, l’agitation: on n’est quand même pas à l’île de Pâques?

Le réservoir d’essence est vide, on n’a plus que 20 litres dans un bidon, une pompe à gasoil d’un des moteurs s’est désamorcée, il fait presque nuit, il est temps d’arriver. On passe devant d’énormes bateaux de pêche et on arrive au fond de la rade. Le voilier Ouistiti est au mouillage.

 

Pas de salami aux Salomon!

Salomon du 23 décembre 2016 au 13 janvier 2017

 

Les îles Salomon ont mauvaise réputation : crocodiles, moustiques féroces, habitants que l’on dit harceleurs si ce n’est voleurs, beaucoup de navigateurs évitent cette destination, les touristes l’ignorent, pourtant le monde ne l’a pas toujours ignoré : au centre de la bataille du Pacifique qui s’est jouée entre les japonais et les américains pendant la seconde guerre mondiale, elle a aussi été jusqu’en 1978, un protectorat britannique, ce pays a aussi été recherché par ceux en quête de « god gold glory » les missionnaires, les chercheurs d’or, les mercenaires ; pour nous, les Français, elle fut le lieu tragique de l’échouement des deux goélettes de M. de Lapérouse sur l’île de Vanikoro, maintenant lieu de chasse au trésor sur les épaves des deux bateaux.

Les îles Salomon furent révélées en 1586 par le premier européen Alvaro de Mendana, la rumeur circula qu’il avait trouvé un pays si riche en or qu’il devait y avoir ici la fortune répandue par le roi Salomon.

Jack London y raconte la fin de sa croisière avec son voilier Le Snark. Armé de pistolets, l’équipage va de Santa Ana à Guadalcanal jusqu’à l’île de Ontong-Java. Il y rencontre les hommes des Salomon qui vivent encore nus et armés de flèches et de fusils. Chasseurs de tête, victimes du blackbirding, ils craignent toute présence d’hommes « blancs » et menacent l’équipage, les fusillades ne sont pas des légendes à l’époque. L’ami de Jack London, le capitaine Keller, avec qui il passa une partie de sa croisière aux Salomon, finira tué par les hommes des Salomon et décapité après sa mort, sa tête sera gardée en trophée par les chefs coutumiers. C’était en 1908, nous sommes en 2016, à la veille de 2017, les missionnaires, les Britanniques ont fait leur travail de colonisation, imposer leurs règles, ravager les coutumes locales et asseoir leur civilisation; Que restera t-il dans l’esprit des habitants de leurs proches ancêtres les « coupeurs de tête »? Après toutes ces lectures, qu’allons-nous trouver aux îles Salomon?

Salomon vient du mot shalom, la paix et c’est avec ces mots prononcés par mon père , que nous entrons aux îles Salomon, la veille du réveillon de Noël, le 23 décembre. Nous arrivons dans la Western province, New Georgia Group: la Nouvelle Géorgie. Cette partie des Salomon n’a jamais été touchée par les cyclones et la saison cyclonique étant déjà commencée, bien que l’archipel des Salomon comprenne des îles plus proches du Vanuatu, nous sommes directement allés vers la Western Province pour être à l’abri. Nous nous sommes d’abord dirigés vers la ville de Noro pour accomplir les formalités d’immigration et de douanes . Le ciel était extrêmement nuageux, gris, les îles noires, une atmosphère grise, cotonneuse, baignait les îles. D’abord la grande île allongée, derrière le cône volcanique du volcan Kolombangara. Entre, des îles et des îlots éparpillés. Plus que jamais un pays à la géographie éclatée se présentait à nous, aux terres morcelées, fragmentées, dispersées, un pays confettis, aux 3000 îles. Plus que tout ce que nous avons connu jusqu’à présent, nous le constaterons lors de notre séjour, une forêt inextricable couvre les îles, s’étend jusqu’au rivage et en fait des îles difficilement accessibles, seule la mer entre les îles devient le moyen de communication pour les habitants: canoë en bois à la rame ou plus rarement à la voile, barque ou lancha en polyester avec des moteurs, sillonnent la mer, la mer est parfois si étroite que la mer ressemble à une rivière, un fleuve. C’est le cas du « Diamond Narrows », le chenal Diamant que nous prenons pour arriver à Noro. Autour de nous, sur les deux rives de la mer, la forêt, la jungle, ça et là, quelques habitations, des maisons en bois au toit de palme dont la partie centrale est surélevée comme un chapeau, les gens nous font de grands signes « hello » ou nous crie « happy christmas » nous découvrons tel un film qui se déroule, le paysage , la forêt profonde sur les deux rives , le bruit des insectes, des oiseaux, toute la vie qui grouille de chaque côté, les pirogues en bois qui nous croisent, les bateaux à moteur qui nous dépassent. Devant la ville de Noro, la mer s’élargit et devient comme un grand fleuve qui s’ouvre vers l’île de Kolombangara , des thoniers font relâche de chaque côté des deux rives, pour alimenter l’usine de conserverie de thon installée à côté de la ville. Il est 15h, un 23 décembre, veille du réveillon de Noël, nous nous disons que finalement les formalités d’entrée sur le territoire seront difficiles à faire et nous décidons de rebrousser chemin vers Vona Vona lagoon. Nous reprenons le chenal « Diamond Narrows », resaluons les habitants au bord des rives, les pirogues et bateau à moteur qui nous dépassent et après avoir pesé le pour et le contre, vu le ciel très nuageux rendant la visibilité réduite, nous nous engageons dans le Vona Vona Lagoon. Les eaux bleu glacier, opaques, le fond invisible, nous nous guidons au sondeur et grâce aux images satellites prises sur Google Earth, la cartographie étant imprécise, Pierre à la barre, je suis à l’avant du bateau guettant les taches sombres qui pourraient ressembler à des récifs de corail les fameuses « patates » que nous avons découvertes en naviguant en Polynésie.

 

Tout se passe bien, nous choisissons un mouillage de 6 mètres de profondeur, d’un côté l’île longue et noire, un peu surélevée, à l’entrée de la passe, de l’autre le cône volcanique du Kolombangara, 1723 m, l’idylle est parfaite entre les deux, au milieu du lagon, des dizaines d’îlots touffus. La forêt y est si dense, si épaisse, qu’elle s’étend jusque dans l’eau, on ne voit pas la terre, par endroit, la mangrove étend dans l’eau ses racines comme des arcs. Juste avant de mettre l’ancre, nous apercevons une forme allongée dans l’eau, avec un œil qui dépasse. Un crocodile ? Nous demandons à deux piroguiers à proximité. « Des crocodiles ? Non , il n’y en a pas. « Nous leur montrons la forme qui maintenant se déplace, les piroguiers partent dans sa direction tout en restant à distance, nous suivons ce qui est bien un crocodile, il se déplace à la surface en faisant onduler sa queue d’un côté et de l ‘autre, les piroguiers nous font signe de le tuer avec un fusil, « nous n’avons pas de fusils ! », il fait environ 5 mètres de long, la peau rugueuse et verte, la tête avec les yeux proéminents, un vrai crocodile quoi! Bienvenu aux Salomon ! Nous n’avons pas mis le pied à terre depuis 6 jours et nous ne sommes pas prêts de le faire. Le crocodile s’est éloigné, nous pensons être tranquilles, quand une pirogue s’approche de nous, avec un homme à son bord, visiblement très alcoolisé, qui nous demande de payer une taxe de mouillage d’un prix exorbitant. A force de discuter, nous parvenons à le faire partir. Heureusement, pour nous remettre de nos émotions, Jérôme, notre copain de Tahiti, nous avait offert un kit de survie du sud-ouest avant notre départ: gésiers et canard confits, foie gras et un bon St Emilion: c’est donc sous les meilleures auspices culinaires que nous passons ces fêtes, même le Père Noël a pensé à déposer des jouets dans un vieux sac de voiles trouvé dans le cockpit…

 

Le lieu est magnifique: les cieux chimériques, saturés de volutes de nuages, les petites touches touffues des îles, les pirogues qui passent, à l’horizon, le cône noir du volcan Kolombangara, la grande île bleue, la mer si calme, au calme improbable, on dirait un lac, qui prend tous les effets de lumière du ciel. Et nous, au milieu de ce monde. Tellement étrangers à ce pays. Sur notre bateau, un îlot de notre monde, de notre culture, de notre histoire. Ce voyage est paradoxal: nous emportons avec nous notre univers: ordinateurs, tablettes, poupées Barbie, lego, playmobil, puissance 4, nos disques, nos livres, notre monde, qui se confronte, qui se choque avec un autre monde, qui nous transforme, nous change, nous rend un peu plus conscients, impliqués, émerveillés, indignés. Une nouvelle année s’annonce. 85 personnes possèdent autant que 3,5 milliards de personnes dans le monde. C’est dans ce monde qu’il faut vivre.

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Après les fêtes de Noël, nous retournons à Noro accomplir les formalités d’immigration. « welkam to Noro » indique, en parfait pidjin, un panneau publicitaire à l’enseigne de la bière Solbrew. Aux Salomon, 107 langues et dialectes sont parlés, favorisés par l’ isolement créé par les îles; le pidjin est la langue officielle, l’anglais est une langue communément parlée. La ville de Noro est une toute petite ville : une dizaine de maisons sur pilotis au bord de l’eau, certaines ont une pancarte pour indiquer qu’on y vend de l’essence « petrol » « ezzy petrol service », toutes les barques, et canoë, sont amarrés avec leur ancre posée à terre sur la rive ; le petit marché, sombre, le sol en terre, maculé de crachats de noix de bétel, le tas d’ordure à côté, quelques rares fruits et légumes, nous sommes les seuls clients et nous ne passons pas inaperçus, la petite vieille qui nous vend ses beignets ronds a le visage tout tatoué; un snack au menu alléchant mais qui ne sert que des fish and chips, une route principale goudronnée le long de laquelle s’étalent des épiceries tenues par des asiatiques, la seule viande à vendre se trouve dans des congélateurs à 20 minutes à pied de là. La police est très coopérative et guide Pierre vers les administrations où nous devons nous faire établir les documents d’entrée dans le pays. Les policiers transportent même Pierre et Alice dans leur voiture. Alice est ravie. Les policiers coopératifs, les habitants qui vous sourient et vous disent bonjour, tiens, tiens, nous sommes aux îles Salomon . Au milieu des mélanésiens à la peau sombre, nous apercevons un couple d’occidentaux qui nous fait de grands signes. Nous allons vers lui : il s’agit d’américains qui sont venus avec leur voilier, ils accomplissent leur second tour du monde après avoir sillonné les mers depuis vingt ans sur le bateau en ferrociment qu’ils ont eux-mêmes construit pendant dix ans ; chapeau bas. C’est en plus autour d’un bon verre de vin qu’ils nous reçoivent à leur bord et nous font passer par clef usb, ce qui est la bible des navigateurs aux Salomon, le dirk’s sailing guide, unique guide de navigation des Salomon, qu’ils avaient acheté lors de leur premier passage dans ce pays. Ils ont beau avoir connu beaucoup d’endroits dans le monde, de pays, d’îles, à chaque fois qu’ils voient sur une carte un endroit, une île qui semblent intéressants, ils ont envie d’y aller.

 

« Ringgi cove », île de Kolombangara

Des nuages enveloppent les îles, des cieux lourds, chargés de pluie, et tout un ciel qui se reflète dans la mer et des nuages qui deviennent mer, les îles couvertes de bois, des bras de mer comme des bras de rivière, tellement les îles sont proches; à l’horizon, le cône du volcan Kolombangara.

Nous sommes à Ringgi cove, près de l’île qui porte le nom de son volcan, Kolombangara. Vu de la carte, l »île est parfaitement sphérique et dominée par le volcan qui prend presque toute la surface de l’île.

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Le bateau est ancré au milieu de la baie, dans un cercle d’eau entouré de forêt, la forêt bruisse, craque de sons, des oiseaux, des insectes que l’on devine sans les voir, des cris, des hurlements, des bruits de branche, de feuillage, tout un peuple dans cette forêt. Un vol de quatre gros oiseaux blancs qui traversent le ciel dans un bruit de craquements énormes. L’eau est opaque, sombre, d’un vert foncé, d’un vert forcé, des maisons de bois, sur pilotis le plus souvent, tellement la forêt est inextricable, une usine d’exploitation du bois et un gros village au bout d’une piste qui traverse la jungle. Emportés par un pick up de l’usine, nous découvrons le village au milieu de la jungle: d’étonnants arbres, qui ressemblent à des marronniers et dont la base est jonchée de feuilles mortes, entourent une grande esplanade de jeux, et donnent une atmosphère de lointaine Europe à ce village, des grandes maisons en planche, une école dans des baraquements, de vastes allées, un petit marché aux rares légumes, et aux joyeuses marchandes.

Au mouillage: des enfants s’approchent en pirogue, ils ont des légumes à bord, qui un fagot d’haricots verts, qui un bouquet d’orchidées, qui des aubergines, la jeune fille qui est venue la première est restée silencieusement dans sa pirogue à côté du bateau, le regard baissé. Nous avons fini par lui demander si elle voulait échanger ses haricots contre des cahiers ou des stylos. « you want to trade ? » c’est depuis que nous sommes devenus des traders. Elle a eu un sourire ravi quand nous lui avons donné un cahier. Tout le temps que nous sommes restés à ce mouillage, les pirogues se sont succédées sans cesse, chacun tente sa chance auprès de nous, toujours sans aucune insistance de leur part, avec même beaucoup de tact.

Un petit tour en annexe pour explorer les bras de mer gagnés par la mangrove : tout est vert, humide, mystérieux. Nous savons aussi que la mangrove est le repaire des crocodiles; nous nous engageons dans un couloir de végétation, qui débouche sur une autre baie, nous nous approchons d’un ponton pour dire « bonjour » à des enfants ; un monsieur nous invite à descendre de l’annexe pour venir voir son village: l’herbe très verte bien tondue, des fleurs d’orchidées de toutes sortes, des cocotiers, un grand pamplemoussier, des arbres fruitiers, de grandes maisons sur pilotis en planche au toit de palme; près d’un grand arbre, se trouve des pierres volcaniques , où poussent de belles fleurs : cet endroit est tabou, ancien lieu où était le diable. On n’en saura pas plus, l’histoire entre le diable et les Salomon est une longue et secrète histoire, mais on sent l’atmosphère particulière que dégage le lieu. Maintenant que les villageois se sont éloignés de ces croyances, une grande église a été édifiée juste à côté. Nous repartons avec des gros pamplemousses dont la chair rose est délicieuse et une botte d’une espèce d’épinards. Au fond de l’eau, on nous montre l’énorme ancre rouillée d’un navire de guerre japonais qui a été coulé dans la baie.

 

 

à côté de Kennedy island, près de Gizo

Un mètre d’eau turquoise sous la coque, des petites iles semées dans toutes les directions, avec ça et là de belles plages de sable blanc, pas de crocodile, la petite ville de Gizo à proximité, accessible en annexe, pour se ravitailler, nous choisissons ce mouillage pour passer le jour de l’an tranquillement, se baigner (cela fait trois semaines que nous ne nous sommes pas baigné) et se reposer. Nous n’avons pas encore récupéré de notre fatigue de la traversée, qui s’est même accentuée depuis notre arrivée aux Salomon: il fait très chaud la nuit, je guette les moustiques malgré les moustiquaires mises aux hublots et j’ai toujours l’impression qu’une pirogue rôde aux alentours: Les Salomon, le pays où l’on ne dort jamais.

Dès que nous débarquons sur l’île proche du mouillage, un habitant de l’île, Mikael, nous demande de payer une taxe pour rester au mouillage. En Mélanésie, chaque terre appartient à une communauté, et bien souvent, un étranger qui y débarque devra payer une taxe, on peut le vivre comme un racket de l’étranger, un abus, d’autant plus que la taxe est fixée librement par l’habitant, un peu à la tête du client, ou bien comme faisant partie des coutumes de la Mélanésie, de toute façon, on ne peut pas y échapper dans la plupart des endroits; les relations sont toujours de prime abord un peu tendues à cause de cette demande. Après s ‘être acquitté de la taxe (nous donnons un masque de plongée), c’est la cordialité, la curiosité qui naît entre les habitants de l’île et nous. On sent quand même qu’il y a une distance énorme entre les habitants et nous, et nous ne trouvons pas la chaleur des polynésiens ou des ni -vanuatu, l’indifférence, la réserve des tongiens, rien à voir. Mikael discute beaucoup avec Pierre et est très curieux de notre vie, la quinzaine d’enfants qui habitent l’île deviennent les copains de jeu de nos enfants. On sort le sac de jouets de plage : l’île n’a jamais connu soudain autant d’objets en plastique_ et chacun s’empare des raquettes de plage, des balles, des quilles, des moules, du boomerang etc…et les replace consciencieusement, à la fin de la journée. Après s’être renseigné, sur l’île personne ne fête le jour de l’an, c’est un jour comme les autres. Un petit air des ukuleles du jour de l’an à Tahiti nous revient en tête, nous pensons aussi à la fiesta que nous avions fait sur une ile vénézuélienne avec les vénézuéliens, quand après 20 jours de traversée de l’Atlantique, nous étions arrivés le 31 décembre. Aux Salomon, c’est donc fort modestement sur notre bateau que nous festoyons: Pierre nous a cuisiné une vieille poule qui a dû cuire plusieurs heures, avec une sauce aux épices massala des fidji. Au dessert, ananas et bananes rôtis à la cannelle et au gingembre. A 9h30 tout le monde est couché, épuisé. A 1h du matin, je me réveille pour souhaiter la bonne année à chacun, Elanore se lève aussi et nous finissons la nuit sur le filet à l’avant pour regarder les étoiles et dormir dans la tente, la tête à l’air. Le ciel est si lumineux, éclairé par les étoiles, qu’on se croirait en plein jour, nous voyions en même temps trois fabuleuses étoiles filantes, avec leur trainée de poudre d’or. Trois voeux chuchotés pour l’année qui va s’écouler. Dans ce faux jour, à l’horizon, les îles dessinent leurs ombres majestueuses.

 

Le premier jour de l’année: comme un bon présage, trois perroquets rouges traversent notre ciel.

 

Menus de mes cinq ans:

omelette à la langouste

bénitiers géants

pagre grillé

gâteau aux smarties

eau de coco

coca cola

 

Nous restons plusieurs jours au mouillage, nous allons exploré les fonds marins près de Kennedy Island: bien que l’eau soit un peu trouble, nous n’avons jamais vu autant de poissons parmi les récifs coralliens.

Autour de nous, les pirogues circulent que ce soit celles puissantes à moteur qui font des allers retours, à partir de Gizo, ou celles à pagaie, en bois, des habitants de l’île qui pêchent. Nous achetons ou échangeons, aux gens des pirogues qui viennent à nous, les fruits et légumes, du poisson, et même des sculptures sur bois. Il y a aussi des pirogues, plus petites, celles des enfants du village, qui viennent observer le bateau.

Au coucher de soleil, un enfant chante dans sa pirogue, un air doux et lancinant.

 

Gizo

La ville de Gizo c’est la plus grande ville de la Nouvelle-Géorgie, mais comme Noro, c’est une toute petite ville, un peu plus grande quand même. Une route goudronnée longe la mer, de part et d’autre des petites échoppes tenues par des asiatiques (des philippins, des chinois?) qui vendent aliments, outils pour le bricolage, vêtements. Des échoppes donnent directement sur la mer et ont un ponton d’accès. C’est facile en annexe de faire les courses: on choisit la marchandise dans le magasin et on l’embarque depuis le ponton. La plupart des gens se déplacent aux Salomon avec des bateaux et tout est adapté en fonction. On peut prendre ainsi en annexe de l’essence dans les maisons sur pilotis qui ont une pancarte « Petrol » , aller à l’un des bars-restaurants (l’un d’eux porte le nom PT 109) faire les courses dans les magasins ou au marché. La mer est bordée de maisons en bois sur pilotis, d’entrepôts. On va en annexe dans l’une de ses grandes maisons qui est un bar restaurant pour manger un « fish and chip »: la maison est très belle, tout en bois, les murs en planche ou en palmes tressées, la charpente est faite de gros troncs d’arbre, recouverte de palmes, il y a plusieurs toits, des escaliers qui mènent à de petites pièces; de la claire-voie ouverte, on voit notre bateau à l’ancre. L’atmosphère est très cordiale dans la ville, il y a même des gens qui viennent vers nous, parce qu’ils nous ont déjà rencontrés dans les îles alentour. « Toute la ville est belle » dit Alice.

C’est la nuit, une nuit noire, il est 1 heure du matin, quand je devine qu’une pirogue aborde notre bateau, j’entends des frottements contre la coque; est ce aussi des pas sur le pont? Je réveille Pierre, on allume toutes les lumières, on se précipite dehors, on éclaire la nuit avec une lampe torche, on voit une pirogue s’enfuir, avec un homme qui sourit et nous fait des signes du genre « c’est rien ». on lui crie « what are you doing? » A t-il trop bu et abordé notre bateau par inadvertance?

Sommeil agité, rêves peuplés de crocodiles, de guerre, de voleurs, on ne dort jamais aux Salomon.

 

ile de Mandou et île de kundu, skull island

Les Salomon c’est un voyage à l’intérieur de ses propres peurs : combattre ses appréhensions, aller vers la découverte, connaître ses peurs et les surmonter, faire confiance.

Lorsque nous jetons l’ancre devant le village de Mandou, nous provoquons l’agitation dans le village, nous sommes le premier voilier à mouiller ici, des pirogues arrivent immédiatement pour nous demander de payer une taxe de mouillage « a fee » associée à d’autres taxes pour aller à terre et cherchent à nous échanger ou nous vendre des fruits et légumes. Devant notre refus, trois autres pirogues arrivent, l’une est menée par le « Village Organizer » (qui nous l’apprendrons plus tard, est le petit fils du grand chef guerrier, Ingawa) c’est à dire l’administrateur de la communauté du village. L’échange se passe mieux et nous indiquons que le lendemain, nous irons à terre pour discuter plus amplement de ces taxes. Je n’ai qu’une envie : lever l’ancre et aller mouiller près de l’île où se trouve un hôtel, à peu de distance de là. Pierre est plus confiant, et préfère attendre de voir les choses venir le lendemain ; une autre pirogue vient nous voir, elle est menée par le fils du chef du village, celui qui fait visiter l’île des crânes qi appartient à son père « skull island ». il nous parle de skull island, de l’histoire du lagon, des jeunes du village qu’il faut calmer, de la curiosité suscitée par notre bateau. Il est passionnant et nous donne envie d’en savoir plus. Le soir est presque tombé et pendant que nous préparons à manger, une pirogue revient en silence près du bateau. J’entends le léger choc de la pirogue contre le bateau, ce qui fait me précipiter dehors, pour demander au jeune qui était venu une premier fois et avec qui j’avais déjà discuté ce qu’il était revenu faire. Il s’en va tout penaud et se fait bien engueuler par quelqu’un du village en rentrant. On entend la réprimande depuis le bateau.

Le lendemain, on se met d’accord pour visiter le village, aller voir skull island en annexe et payer la taxe pour cela, pas pour mouiller, la mer est toujours libre pour les navigateurs, prétend t-on. La taxe bénéficiera, certainement, à l’ensemble de la communauté, c’est un exemple de « Wantok » (de l’anglais« one talk »), un des éléments fondamentaux de la culture mélanésienne: la communauté (souvent le village) assure les droits et devoirs de chacun: dans les grandes lignes, chacun a droit d’être logé et nourri par la communauté, l’argent gagné est mis en commun, les grandes décisions de la vie sont prises par la communauté.

Le village se compose de grandes maisons sur pilotis, les murs de planches ou en palmes tressés, l’une d’elle se distingue par le caractère altier de ses quatre toits traditionnels (toit dont la partie centrale est relevée).Le village comprend plusieurs centaines d’habitants. Dans les jardins, des orchidées de toutes les couleurs, sauvages, parasites sur les troncs ou cultivées pour leur beauté. Le village est traversé de vols de perroquets rouges, et de perruches blanches.

Une grande église dédiée au culte CFC Christian Fellowship Church. Une grande conche permet d’appeler les fidèles et de les inciter à la prière, plusieurs fois par jour. Adossé à l’église, un long canoë noir et blanc. C’est en fait un canoë de guerre, réplique dont l’original se trouve au British Museum. La grande barque est faite d’un seul tronc, couverte d’un enduit noir et incrustée d’éclats de coquillages blancs, le nautile, qui dessinent les signes géométriques correspondant aux attributs des guerriers, qui représentent aussi diverses figures: un serpent de mer noir et blanc, la frégate qui guide et montre le chemin, le bec du dieu oiseau. Deux têtes sculptées sont fichées en haut de la proue regardant l’une vers l’avant, l’autre vers l’arrière; à la poupe, deux têtes sculptées regardent l’une sur un coté, l’autre de l’autre coté, en direction opposée. Dix-huit rameurs pouvaient conduire le canoë, il servait pour la guerre, ou pour la pêche.

En 1908, lors de la croisière du Snark, Jack London a photographié ces canoës de guerre, encore en utilisation, sans doute pour la pêche. Sur les photographies en noir et blanc, on voit les grandes pirogues richement incrustées de coquillages blancs, la poupe relevée, portant les figures des dieux.

 

 

Avec le fils du chef et le « village organizer », petit-fils du grand chef guerrier Ingawa nous allons en annexe sur l’île des crânes « skull island », une île sacrée « tabou » près de la pointe de l’île de Kundu. Sur des pierres de corail, à l’abri sous des planches disposées en triangle, repose le crane du grand chef Ingawa, entourés des cranes d’autres chefs guerriers ainsi que sous d’autres planches en bois, les cranes des guerriers ennemis. Leur squelettes sont enterrés près de là, sur la grande île de Kundu. Une fois le guerrier tué au combat, on coupait sa tête qui étaient honorée par de grands rituels et plaçait dans un de ces lieux tabou. Des anneaux de coquillages, faits avec des grandes conches, qui servaient autrefois de monnaie sont étalés devant les planches. Le guide nous explique que sous les pierres, se trouvent toutes les parures qui accompagnaient les guerriers : colliers, bracelets, et autres monnaies. A côté, se trouve un amoncellement de pierres dédié aux cérémonies de la pêche. S’y dressent trois pierres taillées comme des stèles : l’une représente une mouette qui cherche les bonites, une frégate pour faire changer la direction des bonites, un fou de bassan pour les guider dans le lagon. Dans un coquillage, on mettait de la nourriture à base de taro pour commencer la cérémonie. Ces stèles n’étaient pas sculptées, l’esprit suffisait à faire vivre l’oiseau qu’elles représentaient.

La planche qui fermait l’abri pour les cranes était sculptée et a été volée, par un touriste; l’original du canoë de guerre se trouve en Angleterre; le jeu d’échec aux pièces d’ébène sculpté par le père de Nito a été volé aussi par des touristes, les passagers d’un luxueux yatch qui viennent, sans autorisation et sans avoir payé la taxe, sur le site sacré… Qui sont les voleurs, ici?

 

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Sur le chemin du retour, nous passons par le camp installé durant la seconde guerre mondiale par les américains, pour contrer les japonais dont le fief se trouvait à Gizo. Une guerre sanglante s’est jouée aux Salomon qui a fait des milliers de morts, la bataille la plus connue étant celle de Guadacanal, qui porte le nom de l’île où elle se déroula. Les fonds sous marins, les forêts sont remplies de vestiges de cette guerre. Cette bataille entre deux grandes puissances étrangères a été ahurissante pour les habitants des Salomon; jusqu’en 1965, un soldat japonais était encore sur l’île de Lavella Vella à attendre l’ennemi, croyant que la guerre n’était pas encore finie. L’armée impériale du Japon s’est servie des îles Salomon comme base arrière dans le projet d’attaquer l’Australie et la Nouvelle Zélande et de devenir les Maîtres du Pacifique. Il s’est jouée ici la plus grande bataille sur les mers qu’aura connu le monde, et c’est lors de la bataille de Guadalcanal que les forces alliées américaines prirent le dessus sur les japonais. Rien que pour cette bataille: 67 navires de guerre coulés, 30 000 morts japonais, 7000 morts américains. En comparaison, les chasseurs de tête paraissent des amateurs de la mort. Tout ça au nom de la domination des uns sur les autres, de la folie de la possession et du pouvoir. Et je réentends le cri, la longue plainte sur la folie du monde poussée dans la nuit tahitienne par un groupe musical ukrainien.

 

 

John Fitzerald Kennedy a combattu aux Salomon, son navire le PT 109 fut détruit par un destroyer japonais. Lui et son équipage nagèrent de nuit jusqu’à plumpudding island, (rebaptisée aujourd’hui Kennedy Island) et se cachèrent de l’ennemi puis ils nagèrent jusqu’à l’ile Olona et l’île Naru où ils essayèrent d’attirer l’attention de navires alliés. On dit qu’un message gravé sur une noix de coco fut transporté par les habitants à la base navale américaine de Rendova où un vaisseau fut envoyé pour les récupérer. C’est le guide de navigation des Salomon« Dirk’s sailing guide » qui nous apprend ces faits, ce guide de navigation sert aussi de guide des vestiges de cette guerre.

Le jour de l’an, au mouillage, nous sommes entourés de ces îles, kennedy island, Olana, Naru, impassibles, muettes, à l’histoire insoupçonnable, remplies de beauté, baignées des eaux turquoise, nous imaginons les destroyers sillonnant la mer, les coups de feu échangés, les obus lancés, la mitraille, la guerre, la destruction, la mort, ce champ de la mort parmi tant de beauté donné, impossible d’imaginer, comme le temps efface tout de sa main, les traces, les déchirures, et la beauté des lieux remet son ordre, sa raison.

Je me demande si cette guerre n’a pas contribué à la grande distance que l’on sent entre les étrangers et les habitants des Salomon. 29 000 habitants des Salomon réduits en esclavage par le blackbirding, les milliers de japonais et américains venus dans leur pays qui s’entre-tuent pendant la guerre du Pacifique. « Étranges étrangers » doivent-ils penser.

De retour dans l’annexe, nous nous dirigeons vers le village. Le petit-fils du grand chef guerrier et l’organisateur du village ont le regard aiguisé: ils ont repéré au loin, une forme allongée qui dépasse de la surface: un crocodile. Sans peur, accompagnés par l’esprit des grands chefs, nous nous approchons: le crocodile un moment immobile à la surface finit par plonger et disparaître dans l’eau trouble.

Même aux crocodiles, nous allons finir par nous habituer, tout comme nous nous sommes habitués aux requins en Polynésie. Un petit lac à l’intérieur de l’île est le réservoir d’eau des bébés crocodiles et nous sommes presque prêts à aller les voir.

Les gens du village, dans leurs pirogues ,se succèdent le jour autour de notre bateau, pour nous échanger fruits (papayes, goyaves, oranges, ananas…) et légumes (courgettes, haricots, aubergines, patates douces…), coquillages,objets sculptés contre hameçons, fil de pêche, cahiers, stylos… Nous avons aussi autour du bateau, un banc d’une soixantaine de calamars qui nous regardent et nous narguent. Un vieux pêcheur tout souriant qui est venu nous échanger des légumes, tente avec Pierre de les attraper avec une turlutte, peine perdue mais ce fut une belle partie de pêche.

 

Un jour le ciel est toujours aussi nuageux, mais un peu plus de soleil, une absence de vent, que sais je ?l’eau devient transparente et révèle ses secrets : de longues algues tapissent le fond de sable brun, en annexe, on aperçoit les formes furtives de petites raies pastenagues ou léopard, d’un requin pointe noire, cela paraît si étonnant de voir ces créatures de la mer tellement on se croirait sur un fleuve ; ce même jour, profitant de la bonne visibilité dans l’eau, une dizaine de pirogues partent ensemble à la chasse à la tortue: aux Salomon, les tortues sont chassées pour être mangées, un vieux monsieur depuis sa pirogue nous parle de ses 17 bébés tortues qu’il détient non loin de là, dans un bassin d’eau de mer.

A l’écart du village, sur la même île de Mandou, nous découvrons l’endroit où vit Nito et sa famille, son père est un grand sculpteur et nous admirons ses pièces maîtresses; dans son jardin, au milieu des bananiers, des mape, des manguiers, des citronniers, sur l’herbe verte et bien fauchée, sont disposées les sculptures: le canoë de guerre incrusté de coquillages qu’il a construit et celui qu’il est en train de construire, les longs bois représentant des crocodiles, les poissons sculptés le long des piliers en bois, les statues figurant les dieux. Il nous raconte les légendes associées aux sculptures, le dieu pécheur, le dieu chien, Nguzunguzu, Tiola, les dieux anciens.

Tout comme l’eau est devenue soudain claire, peuplée des créatures de la mer, les Salomon apparaissent dans toute leur complexité avec leurs mythologies, leurs croyances anciennes, leur profondeur.

 

Des Vanuatu aux Salomon

Des îles Vanuatu aux îles Salomon du 16 décembre 2016 au 23 décembre 2016

 

premier jour

Après un faux départ, lié à un changement de pièce sur le dessalinisateur, nous étions enfin prêts à partir.

Le ciel était entièrement couvert de nuages sauf un triangle qui s’était formé devant le coucher de soleil et révélait une couleur rose, et comme un talisman, l’oeil d’un dieu égyptien dans ce triangle nous regardait partir et nous filions, nous voguions . Vent arrière de 15 nœuds, mer agitée tourmentée, autour de nous, les îles n’étaient plus que des ombres.

Passer devant Gaua et ne pas s’arrêter, tourner à gauche, vers l’ouest dans un grand empannage, et filer, fuir vers l’ouest, loin de la zone touchée potentiellement par les cyclones, prendre le large, éviter la zone intertropicale de convergences, là où convergent les vents de l’hémisphère nord et sud, pour provoquer une absence de vents. Une dépression tropicale venait de se former au large des Fidji, nous pensions à Noël resté dans la zone.

 

2ième jour,

Pluie, le vent qui accélère, ralentit, moteur, voile, empannages pour changer de direction et chercher le vent et toujours cette mer hachée qui n’offre aucun repos. Nous nous sommes allongés pour regarder le ciel au début de la nuit. La pluie tombait, les petites gouttes s’écrasaient contre nous, les étoiles dans le ciel, les petites gouttes, les impacts de météorites qui s’écrasaient contre nos corps sans défense, toute la lumière des étoiles qui filait goutte à goutte sur nous. La pluie devient trop forte, il faut rentrer, se mettre à l’abri et rompre le sortilège. Sous les tropiques, la pluie est une bénédiction. Elle ne nous mouille pas, elle nous saoule.

 

3 ieme jour

Monotonie. Langueur s’empare de nous. Le bateau file, nous secoue. Le temps a filé, où le temps a t-il filé? qu’est ce que j’ai fait de toutes ces années? On écoute en boucle les mêmes chansons et dehors, la même chanson: la mer, la mer. Ciel nuageux, gonflé de nuages, houle croisée. Allongés, allongés, à écouter une histoire d’Harry Potter qui n’en finit pas. Dans la vitre du hublot, une autre mer s’est formée, une vague qui roule, qui roule comme un tube de surfeur. Le spi énorme nous pousse toujours plus en avant, voulant tricher avec la lenteur, la vague roule, la longue houle, autour la même mer, on ne sait plus, la tête est prise dans un étau, le ventre en vrac, au bord de la nausée, pensées confuses qui prennent le rythme de cette longue houle, qui ne veulent plus s’arrêter.

Quatre oiseaux en visite, on dirait des pailles-en-queue, -est ce possible si loin?-s’arrêtent au dessus du bateau , nous regardent, écrivent-ils leur journal de bord? Un pétrel marron tacheté fend notre trajectoire, un poisson à 200 m de nous, nous a suivi une partie de la nuit. Pour qui nous prend t-il? Les enfants sous la table jouent et se disputent, les rires fusent, les pincettes aussi. Le vent est maintenant de 15 nœuds, vent arrière. Vol plané de fous autour de nous.

 

 

4 ième jour

Petit jour après la longue nuit, on sort et on se prend une giclée de vent et de soleil. Lucile nous raconte ses rêves de gâteau à la chantilly, et de gâteau aux bonbons.

Mouettes, fous, pailles-en-queue sont nos compagnons du petit matin. On imagine des poissons dans les crêtes des vagues. Rien ne mord à nos hameçons. La mer est vide, je ne vois que ça! Les nuages sont devenus espacés, ils occupent le ciel par grosse bouffée. Le ciel part du blanc, près de l’horizon, à un bleu lumineux au centre, la mer est d’un bleu nuit. Spi et re-spi, comme on respire.

Il ne faut lire dans ces lignes que l’ennui, l’infini solitude, la terre si loin, la mer si ronde, le ciel immense au-dessus de nous, avec ces oiseaux arrachés au néant. Le soir, les nuages se font d’un blanc intense, d’une telle pureté, maculée seulement par les taches des oiseaux qui volent.

Dernier oignon, dernière papaye, nous sommes à la moitié du voyage, avant le grand empannage, la longue remontée vers le nord, vers les Salomon.

La coque du bateau se reflète dans l’eau et ajoute sa couleur à la couleur de la mer: la mer devient d’un bleu d’encre entre les planches de la plate-forme à l’arrière, un bleu intense, violent, violet.

Nous passerons cette nuit près d’un reef, au nom improbable, « Indispensable reef » rien que ce reef, la présence d’une terre, d’un simple anneau de corail posé sur le grand océan, nous fait rêver.

Houle venant du sud-est, houle venant du sud-ouest, ajoutées aux petites vagues plein de crêtes, c’est ce qu’on appelle une mer croisée, qui a pour effet de nous malmener, nous jetant d’un côté et de l’autre. Résultat: un grand inconfort et une seule envie, arriver à bon port le plus rapidement possible.

 

 

5 iéme jour

le vent est tombé à 8 nœuds, il vient de l’arrière, le spi nous tracte à 4 nœuds. La mer croisée s’est décroisée. Cela change tout: plus de mal de tête ni de mal de ventre. Nous pouvons vivre à peu près normalement, nous sortons une grosse pile de « Popi » et de « belles histoires » et nous nous précipitons pour lire plein d’histoires, en particulier, toutes les histoires liées à Noël. Nous avons sorti le calendrier de l’avent et le petit mulot annonce qu’on est le 20 décembre. Les enfants ont soigneusement choisi les tenues avec leur accessoire pour le réveillon et le jour de Noël et les ont accroché aux patères des cabines avant de partir. Elles ont fabriqué des flocons de papier rouge blanc, vert et bleu qui décorent les hublots. La crèche fabriquée avant le début de la navigation attend dans sa boite. Chaque jour, on rêve de Noël, de ce qu’on va manger, là on on va se baigner, de pic-nique sur la plage, comme on faisait dans les îles polynésiennes.

Les visiteurs de la nuit et du jour: un gros fou noir a passé la nuit sur le bateau, ce n’est qu’au lever du jour que nous l’avons surpris et il s’est envolé. Deux pailles-en-queue cherchent à attraper notre hameçon et tournoient au-dessus de nous, une mouette, un autre fou, les oiseaux sont avec nous. Un papillon est même venu un bref instant virevolter au-dessus du bateau, comme une apparition féérique puis est reparti. La VHF a grésillé, des voix entendues puis perdues. La proximité relative ( environ 100 milles de nous) de l’île de Rennell explique ces apparitions, les voix, les animaux. Rien qu’à savoir que nous pourrions nous y arrêter nous enchante, nous relisons les informations prises sur cette île avant de partir. Cette île appartient aux îles Salomon et nous devons déjà être entré dans les eaux de ce pays.

Le ciel était bleu délavé, clair, plein de cumulus et le soir venu s’est brusquement, brièvement, rosifié.

Nous apprécions enfin cette journée de navigation. Plus que 350 milles.

 

 

6ième jour

Cette nuit, la course folle du bateau a repris: un géant donnait de grands coups dans la coque, le bateau était secoué de soubresauts, nous étions des puces qui sautaient.

La mer décroisée s’est recroisée et les deux houles scélérates font leur travail de sape. Impossible d’apprécier cette journée si ce n’est le compteur qui décroit, plus que 250 Milles, et si ce n’est les bonnes crêpes qui sautent bien elles aussi, que Pierre fait dans un numéro d’acrobate.

Nous nous sommes rapprochés encore plus de Renell island.

La mer a des couleurs violines, la mer a le bleu fascinant des grandes profondeurs, le bleu de l’âme profonde, rien à voir avec le bleu fouetté, turquoise, parfois blanc, à la crête des vagues.

 

 

7ième jour

La nuit à manœuvrer, prendre un ris, le lâcher, allumer le moteur, reprendre un ris etc…

sous un ciel en feu, balayé par les éclairs.

Ce jour, le petit mulot marque le 22 décembre. Le vent a tourné nord, nous sommes au prés (avec « s » et sans calme): secousses incessantes, tout bouge.

De toute cette navigation a résulté une écriture à l’arraché, allongée, la tête relevée, la feuille horizontale, les mots écrits presque à l’aveugle.

La mer rend prisonnier, entre soi-même, sans ne plus pouvoir bouger, rien qu’à penser, à se souvenir, à imaginer, à s’évader par la pensée, nous n’avons jamais autant pensé à des sorcières, des êtres fantastiques, des géants.

Vu un thon rayé de jaune qui brillait dans la lumière comme un poisson d’or.

Vu une baleine et son jet de vapeur.

Nous avons pêché un thazard d’environ un mètre de long, et d’une vingtaine de kilos, bien réel, lui.

Il y avait une fausse île dans les contours d’un nuage, posée sur la ligne d’horizon. Ce pays noir était un long nuage de pluie qui, une fois crevé, a disparu. Parfois, des îles éphémères naissent à l’horizon, on croirait vraiment des îles, il faut vérifier sur la carte pour savoir qu’elles n’existent pas. Ce sont des îles de nuage, à l’existence incertaine qui disparaissent promptement, comme ces gens qui apparaissent et disparaissent soudain de votre vie.

 

 

8ième et dernier jour: 23 décembre 2016

Nuit très agitée, contre 15 nœuds de vent, le bateau allant à 5-6 nœuds, c’était les montagnes russes, seuls les enfants dormaient.

Au petit matin, l’île est apparue: complètement noire, complètement nuageuse, entourée d’un fatras de nuages de toutes formes, des bien gonflés, bien étirés, en strates, étalés comme à la spatule. L’île était fumante, comme si de la vapeur d’eau jaillissait d’elle, l’île était haute, la carte indiquait sa hauteur, l’île était sans nom sur la carte, appartenant au Georgia Group, Western Province- enfin, l’île était là.

 

 

Grain de nuit

Il fait noir. Les étoiles sont éteintes. Seul, le feu de mat résiste, dernier astre au milieu du ciel.

Le vent est monté, nous avons pris deux ris. Les coques sifflent, Le sillage s’étend, se manifeste, bruisse, glougloute, gémit. Nous allons vite. La mer est plate. L’écume est phosphorescente, nous glissons au milieu d’ondines scintillantes. Le paysage est figé. Nous sommes immobiles au milieu de cette mouvance, au cœur de l’obscurité.

 

Je ne vois rien, que le noir.

Je ne vois rien et c’est magnifique.

 

Un éclair, un flash, les nuages apparaissent, daguerréotype tremblant. Mer noire, mer plate, sans vagues, le ciel s’illumine, une bande lumineuse sur l’horizon, les voiles sont des ombres chinoises, les nuages se parent de nuances d’argent.

 

De nouveau le noir. Le ciel s’est éteint. Nous sommes dans un vivant tableau de Soulage.

 

Encore un éclair. Devant nous, l’orage se précise. Au loin la foudre lui répond comme un écho optique. Les dieux du tonnerre se sont donnés rendez-vous. Zeus d’un coté, Thor de l’autre, chacun montre sa gloire.

 

Le noir est omniprésent.

 

Je compte les secondes.

Une, deux, trois, quatre, cinq, six, éclair !

une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, éclair !

un, deux, trois, quatre, cinq, éclair !

 

Pas de grondement. Uniquement l’assourdissant silence des coques qui fendent l’eau et du vent qui s’engouffre sous ma capuche. J’évoque ma silhouette, noire, emmitouflée dans le ciré noir d’Arnaud. Noir sur noir.

 

A chaque éclair le même paysage apparaît, identique et pourtant si différent. L’orage se précise nous fonçons sur lui. Que faire ? Le laisser au vent ? Sous le vent où va-t-il ? Je remonte au vent. Flash, nuit, Flash nuit Flash, nuit… Daguerréotype, nuit, daguerréotype nuit… les images se succèdent. Peu à peu les éclairs se meuvent sur notre vent puis glissent sur notre arrière. Le vent s’apaise.

 

Et nous voguons dans le noir, dans ce grain de nuit qui contient notre monde.

Vanuatu – Epi

Epi

Une grande baie, une plage de sable noir, un village qui s’étend le long de la mer dans la forêt, les huttes cachées par les arbres. A la surface. Au fond des eaux, vaquent des tortues et un lamentin plus justement un « Dugong ». Nous passons des uns aux autres, de la surface au fond des eaux, des villageois, aux tortues, des tortues au lamentin, du lamentin aux villageois ; parfois même une autre strate s’ajoute à ce lieu, lorsqu’un avion passe au dessus de nous, atterrit sur la piste en bout de plage, lorsqu’une étoile est aperçue dans la nuit, lorsque la lune blanchit les surfaces, Trois strates le ciel , la terre, la mer , toutes trois peuplées, occupées, comblées.

Mer transparente, sable noir, les tortues évoluent, dansent, volent, battent des nageoires comme des ailes, c’est magnifique, elles se laissent approcher, puis s’envolent nous guident vers une autre tortue et ainsi de suite, d’une tortue à l’autre c’est une valse à mille temps, on change de partenaire, parfois cinq tortues dans notre champ de vision, on virevolte avec l’une puis avec l’autre, c’est infini.

M. Dugong habite la baie de Lamen, il pèse bien 200 à 300 kg, un gros dauphin avec le nez écrasé qui broute les algues au fond de l’eau et regarde étonné une Elanore virevolter à côté de lui, une Alice remuer ses petites jambes à toute vitesse, une Lucile regarder dans son masque attentive, puis faire une pirouette. Il s’en fout, il broute.

 

 

Alice a 5 ans

Depuis près d’un mois le compte à rebours avait commencé. Le calendrier de l’avent s’était transformé en calendrier pré-anniversaire et Alice attendait cet instant impatiemment.

Plusieurs détails montraient qu’elle avait grandi. Depuis quelques jours, elle va se coucher toute seule dans sa cabine, elle n’exige plus une présence avec elle jusqu’à ce qu’elle s’endorme, Elle accepte de manger autre chose que des pâtes et du riz (du moins en théorie), Elle annonce fièrement qu’elle aime les légumes et réclame des épinards, elle lit des livres toute seule…

Et ce matin du 4 janvier est enfin arrivé! Ce matin, elle a enfin eu 5 cinq ans ce qui a constitué l’événement majeur de la semaine!

 

Pour commémorer la journée, nous vous proposons un petit reportage en photo de la journée réalisé principalement par Elanore avec la complicité d’Hélène et Lucile.

 

 

Noël aux Salomon, Croco au lagon…

voeux-2017-500

 

 

Il y a dix ans, Noël, (celui d’Enez) nous avait raconté une histoire effrayante. Un couple de sa connaissance avait mouillé dans les îles Salomon. Comme à son habitude l’homme avait plongé pour s’assurer de la tenue de son ancre. Au moment de remonter à bord sous les yeux de sa femme, il avait hurlé, s’était vainement débattu avant de disparaître sous les eaux dans un bouillonnement de sang . Un bon vrai mauvais scénario de film d’horreur… Quelques jours plus tard, les villageois vinrent prendre des nouvelles de ce bateau immobile, entamèrent des recherches et retrouvèrent les restes de l’homme dans une mangrove.

De là à dire que nous avions un à priori négatif vis à vis des îles Salomon, serait un peu exagéré…

 

La traversée depuis les Vanuatu s’est déroulée dans de relativement bonnes conditions avec tous les ingrédients habituels: Des frissons lors des premières 40 heures pendant lesquelles nous avons déboulés sans effort à une moyenne supérieure à 8 nœuds, Du spi les jours suivants quand le vent a faibli, une houle croisée pendant les 4 premiers jours afin que cette navigation ne devienne pas trop agréable, comme de coutume il y a eu un peu de casse pour pimenter nos mornes journées (rupture de la sous-barbe du bout-dehors), Une nuit blanche dans un son et lumière angoissant lorsque nous avons traversé un orage tropical de nuit, 37 Noeuds de vent dans un grain (superbement maîtrisé par l’équipage), un magnifique thazard pour le dîner, et une pluie diluvienne à l’arrivée.

Touchant les îles un vendredi 23 décembre en début d’après-midi, nous jugeons plus sage d’atteindre le lendemain du week-end qui s’annonce et qui, par un hasard extraordinaire se trouve être la veille du 24 décembre qui est lui même la veille du jour de Noël, pour aller faire les formalités d’entrée. Nous nous engageons dans le lagon dans l’optique de nous trouver un petit coin de paradis où le père Noël pourra nous trouver aisément. Les filles ont anticipé l’arrivée au mouillage et ont sorti le sapin en plastique, les boules et les décorations qu’elles commencent à installer dans le cockpit.

La traversée du lagon n’est pas évident, le ciel est couvert, il y a une mauvaise visibilité et le lagon n’est pas cartographié. Heureusement en utilisant les images satellites, nous arrivons à progresser sereinement. Nous arrivons près de l’endroit où nous avons décidé de mouiller. J’aperçois à 100m un drôle de tronc d’arbre qui flotte et qui a un comportement bizarre…

C’est à ce moment que nous sommes hélés par 2 pêcheurs dans leurs pirogues creusées dans des troncs. Nous nous approchons d’eux. Ils croyaient que nous voulions aller à l’Hotel que l’on aperçoit au loin et voulaient nous prévenir que ce n’était pas le bon chemin. Je les rassure, les remercie et leur demande si il y a des crocodiles par ici. Ma question les fait rire, « Bien sûr que non, il n’y a pas de crocodiles dans cette partie du lagon! » (En anglais dans la version originale). Cela me rassure par rapport au tronc bizarre que j’avais repéré un peu plus haut.

C’est à ce moment que le rire du pêcheur se fige, il ouvre des yeux exorbités et crie « Crocodile, crocodile! » en montrant mon tronc…

 

Lundi 26 décembre.

Le père Noël est passé, le confit et le foie gras sont digérés, nous nous rendons à Noro pour faire les formalités d’entrées. En débarquant avec Alice (Les fonctionnaires sont toujours plus coopératifs en présence d’enfants) je remarque qu’il y a peu d’activité.

Le poste de police est juste en face de nous. Je m’y rend pour demander où se trouvent les services de l’immigration, douanes, biosécurité etc… Les policiers sont en train de jouer aux fléchettes dans un petit Fare potee. Ils ont une mimique ennuyée, ils essaient en vain de contacter les différents fonctionnaires et finissent par m’informer que le 26 décembre est férié aux Salomon et qu’il faudra faire les démarches le lendemain. Puis nous emmènent dans leur fourgonnette jusqu’à un distributeur automatique pour y retirer de l’argent.

 

Mardi 27 décembre,

L’officier de l’immigration nous appelle depuis le rivage. Je le rejoins pour remplir les papiers… en 2 exemplaires car, s’il a bien une photocopieuse, il n’a pas de toner pour la faire fonctionner.

Une fois les formalités effectuées et nos passeport tamponnés, je le questionne sur la douane. C’est marrant, il a la même mimique ennuyée que les policiers de la veille… et il m’explique que le 27 décembre est également un jour férié aux Salomon… Il serait préférable que je voie la douane… le lendemain!

 

Mercredi 28 décembre.

Je me rends vers 10h30 au bureau de la douane qui se trouve au bout d’un chemin au milieu de la nature. Devant le bâtiment se trouve un homme qui téléphone, c’est l’officier de la douane. Cela fait 2 heures (la douane ouvre à 8h00) qu’il essaie de contacter son chef, qui n’est toujours pas arrivé et qui a les clefs des bureaux… Après réflexion il me suggère de venir l’après-midi… Après 13h30.

 

Normalement, le 1 janvier 2016 sera un jour férié car il tombe un dimanche. Le 2 et le 3 janvier le seront-ils également?

Et les crocodiles, que font-ils pendant les jours fériés?

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