Raiatea, Taha’a, Bora Bora du 4 août au 11 août 2016
Je voudrais encore retenir par les mots ce qui s’en va, Tahiti, le poisson échappé de Raiatea., Raiatea le domaine des dieux, qu’abrite la baie d’Opoa, Taha’a, la nudité, qu’un détroit sépare de Raiatea.
Taha’a, son bleu turquoise se déroule jusqu’à la barrière de corail, son bleu foncé s’étend jusqu’au vert des montagnes, nous passons d’un mètre de profondeur à trente mètres en faisant un écart, un mouvement de la barre, un saut de dauphin, la profondeur se mesure à une nuance de bleu, chez Cézanne, le rouge est ce qui est près, le bleu ce qui est éloigné, pour nous c’est le bleu qui nous sert de repère, qui nous guide et nous porte, le bleu qui devient parfois noir, blanc, vert, rouge, le bleu de la mer, le bleu du ciel.
Le bleu turquoise de Taha ‘a se déroule jusqu’à la barrière de corail d’où surgit la masse noire de Bora Bora, le soir au soleil couchant, le rouge ronge le bleu, puis le noir redessine tous les contours,les pleins, les intérieurs, les extérieurs, et à l’horizon le volcan à moitié effondré de Bora Bora s’effondre tout à fait.
Pendant que les raies mantas dans le chenal entre Raiatea et Taha’a tournent autour du corail, tournent et volent, les enfants observent dans le bleu turquoise sous le bateau, ,deux Bernard l’Hermite qui traînent leur grosses coquilles au fond de l’eau et laissent leurs traces dans le sable blanc, et nous voilà Bernard-l’Hermite, Sisyphe de l’océan, traînant notre coquille, notre caracol, et voguant, voguant…
Bora Bora, « île de lumière »
Je mets à mon doigt la bague de Bora Bora et l’alliance est consommée , entre le volcan et les motus, on navigue dans le lagon, on pourrait dire on navigue dans le turquoise tellement la couleur est uniforme, un fond de sable blanc de 1m50, un soleil d’aplomb, du vent, le voilier file et nous le laissons filer sans bride, dans le pur plaisir de le sentir filer, une raie léopard s’enfuit à notre passage, tache noire que l’on suit, est ce une ombre, l’ombre de la raie que l’on suit, ou suit-on la raie elle-même ? est ce Bora Bora, dont le seul nom est collectivement évocateur de rêve , ou est ce bien l’île que nous voyions ? Peut on encore voir Bora Bora ? Où sommes nous là pour trouver un rêve de Bora Bora ? Pourquoi dire deux fois Bora, comme s’il fallait répéter deux fois son nom comme un souvenir de rêve pour appréhender sa réalité ? L’île est dominée par un volcan, noir, abrupt, et définitif, qui crée l’équilibre avec le lagon bleu, ondulant et mouvant. On comprend pourquoi cette île a fasciné les voyageurs, pour ne citer que Paul Emile Victor, Alain Gerbault et que les gens du monde entier viennent la visiter. Pour cette radicalité, ce graphisme entre ligne verticale et ligne horizontale, entre ce turquoise du lagon et ce noir du volcan ? A chacun son rêve…
Entre les petits îlots aux cocotiers ébouriffés et les collines vertes de l’île, nous naviguons, nous ne choisissons pas, ni avec les uns, ni avec les autres, nous ne faisons que passer, regarder, s’interroger, entre les hôtels de luxe et les maisons ordinaires, nous ne faisons que passer, entre ceux qui sont en vacances et ceux qui travaillent, nous ne faisons que passer, nous sommes entre deux…
Nous mouillons près du voilier des Biquets. Le sable au fond de l’eau est tellement doux que nous restons en apnée, rien que pour le toucher et avoir l’impression de mettre nos pieds dans des chaussons de princesse. On a rencontré les Biquets au Panama, recroisé à Tahiti à plusieurs reprises et nous les quittons à Bora Bora, avant qu’ils nous rejoignent en Asie ? Qui sait? Ils nous font le cadeau de nous indiquer où se trouvent les Raies Mantas et ce sont cinq belles raies Mantas que nous avons la chance d’observer dans l’eau avec le masque. Grâce de papillons géants, ombres fantastiques, une raie fonce vers nous, la gueule ouverte, les branchies apparentes, une autre tourbillonne à la verticale, une autre nous regarde de ses yeux décalés, et « je ne sais pas quel est le plus étonné des deux » ? Une autre s’éloigne, dans l’eau trouble, battant des nageoires, volant, et comme dans un film ancien, à l’image brouillée, quitte l’écran, image qui s’efface, s’imprime dans la mémoire, invite au songe…
Sur une des collines de Bora Bora, nous avons remarqué une petite porte en bois qui donne directement dans la montagne, oui tout cela est vrai, je l’ai même photographiée, et comme de la bouche des enfants, sort toujours la vérité, les enfants vous le répéteront, il y a cette petite porte en bois qui donne dans la montagne, je ne sais pas si la colline abrite des hobbits ou autres créatures minuscules, il nous faudra un autre voyage pour ouvrir la porte…
Dire la réalité de ce voyage me dépasse, je me sens désarmée et impuissante, tellement de choses vues et de différence entre les mots et la réalité et pourtant il lui aura suffit de tremper la madeleine dans du thé pour que ressurgisse la sensation et par les mots retrouver le temps qui s’était enfui.
Le voyage se fait de l’extérieur du bateau et de l’intérieur du bateau, comme si à l’intérieur même du bateau il y avait à nouveau un monde à explorer, des bibliothèques à relire, à découvrir, bien souvent, je m’installe dans les cabines des enfants et j’explore leur bibliothèque, c’est tout ce temps perdu qui nous aura manqué ces dernières années, j’ai effacé tous mes rendez vous, pour retrouver une page blanche, à écrire.