De Hong-Kong aux Philippines


De Hong Kong aux Philippines du 31 mars au 5 avril 2018.

 

Hong Kong comme dans ces tableaux anciens, Hong Kong se présente une dernière fois sous nos yeux : une baie entourée d’îles et de collines. Sept arrière-plans de collines dans la brune, à peine des contours d’encre de Chine, trempés d’eau, comme l’on voit dans les tableaux anciens, c’est Hong Kong, c’est ma Chine, aucun immeuble, aucune verticalité, des traits de peinture et des bateaux. La mer est parsemée de petites embarcations, des voiliers, des bateaux à moteur qui comme des papillons attirés par la lumière, sont de sortie par ce jour de grand soleil. Nous tirons des bords pour sortir de la baie, nous nous détachons lentement de Hong Kong, il y a notre ami Sean et son chien sur son voilier pour nous accompagner et nous dire au revoir, nous nous photographions et nous nous filmons mutuellement comme si nous tissions des liens invisibles entre nous, encore pour prolonger notre amitié. Nous en laissons des amis sur la rive, Denis, Brian, Dan, Sean, Christophe, et tous ceux de la marina Hebe Haven qui nous ont si bien accueilli et tenu compagnie. Brian est en vol au-dessus de la Corée, Denis est aux États-Unis pour rejoindre sa famille, après avoir dirigé son équipe de pilotes en Chine, nous avons rencontré des Français, des Américains, des Australiens, des Canadiens, des Allemands, des Autrichiens, des Belges, tous ces gens de nationalités différentes qui s’épanouissent à Hong Kong, partagent un moment de vie avant de s’éparpiller aux quatre coins du globe.

 

 

Nous croisons encore Harvey sur son voilier, il a inventé le soutien-gorge Wonderbras et évidemment il a un spi rose fluo qu’il vient maintenant de déployer ; de charmantes jeunes filles prennent le soleil sur le pont, nous font au revoir de la main, nonchalamment, tous vont sans doute sur la petite île des pêcheurs , où nous avons déjà passé une très belle journée, baignée de soleil, mangeant du poisson et discutant, se promenant jusqu’à atteindre un temple chinois sur la rive.

Nous étions arrivés comme dans un rêve à Hong Kong et nous en repartons de la même façon sous le signe du rêve, de la beauté, les contours de Hong Kong s’effacent peu à peu, la lumière des sept collines s’estompent, les couleurs se diluent, nous sommes de nouveau, dans la mer des cargos, à guetter les trajectoires, et la nuit a tout englouti, nous sommes bien partis.

Second et troisième jour

Une mouette soudain au ras de l’eau, j’attends encore après des milles et des milles parcourus, le surgissement du merveilleux, ce que la mer procure d’enchantement, soudain être porté par l’aile d’un oiseau, ce murmure des vagues, le rail d’écoute qui glisse, le winch qu’on tourne, chaque période passée sur la mer est une période d’écriture pour essayer de retenir le chant de la mer. Tout à l’heure a surgi au bout de la ligne une dorade coryphène, ses couleurs bleues et vertes qui lançaient des éclairs dans le gris de la mer, le poisson se tordait et dardait ses rayons de couleur, avant d’être hissé sur la plage arrière du bateau et mourir dans sa robe gris-argent, à petits pois noirs.

Un peu plus tôt encore, je discutais avec Alice sur le pont, je vis son regard soudain capté par la mer, et elle dit : « un aileron, je vois un aileron », c’était un troupeau de globicéphales qui croisaient juste à côté du bateau, la tête aplatie, le corps noir-gris, on les voyait apparaître au ras de l’eau puis plonger, jusqu’à ce qu’ils s’éloignent et poursuivent leur course, ailleurs.

Depuis, je reste dehors – je guette.

Le soleil brille, la mer est pleine d’éclats par endroit ; par endroit, grise, un peu échevelée comme nous.

 

 

Hier encore nous étions dans le monde industriel des plate-formes pétrolières en équilibre sur leurs piliers de cent mètres, comme des crabes géants. Des torchères brûlaient, on voyait la piste des hélicoptères, des hommes devaient s’affairer pour maîtriser le flux de pétrole qui jaillissait depuis les entrailles de la terre, dans les pipelines gigantesques, c’était fascinant de voir cela depuis notre voilier, nous qui nous déplacions la plupart du temps, avec le vent. Au pied des géants, il y avait des petites pirogues de bois à balancier, des pêcheurs venus là sûrement à partir de bateaux plus gros, qui faisaient eux aussi des gestes anciens, jeter leur filet, mettre une ligne à l’eau. En passant précisément là mais pour ainsi dire par hasard, nous accédions à un temps souverain qui se déployait avec ses strates, modernes et anciennes, J’ai souvent perçu la mer, comme une absence de temps, ne sachant plus où nous en étions, de ce temps si mesuré, là-bas, sur terre, et ce temps ici savait prendre de l’ampleur, de l’ère industrielle aux temps anciens, on le voyait s’étendre, se distendre, jusqu’à ce que les plate-formes, les pirogues disparaissent de notre horizon.

 

 

Quatrième jour

L’eau pure autour, nous, avançant dans la vague, comme si seul le bateau savait la direction, nous dans cet univers, entourés d’eau et de lumière, nous, dans la vague, avançant dans le vent, faire le tour du monde et voir cet horizon semblable, si éloigné des hommes, si clément et si plein de force, l’énergie qui circule en moi, entre et sort, je la reçois, pure et vitale. Journée pure comme seul on en voit en mer, aucun bateau autour, cet horizon sans fin, une trace dans le ciel, pas un seul nuage, du gris dilué par le ciel.

Je suis si proche de l’oiseau venu nous voir, une petite hirondelle si légère.

Cinquième jour

jour de calme et de bonheur/ moteur.

Déjà le soir : un soleil rouge s’enfonce dans la mer, le disque glisse si rapidement dans la mer, le temps d’écrire cette phrase, il a disparu ; à la surface, le bateau, le bruit du moteur et sa fumée qui s’échappe.

Je l’ai compris en regardant le film de Jim Jarrnush « Deadman », on pouvait atteindre le ciel en touchant la mer, ces deux se rejoignent, ne font qu’un. Pour monter au ciel, il fallait être en mer.

Tout autour mer, ciel, et nous, peut-être, la jonction, le lien, le vivant.

Nous assistons impassible à ce paysage mobile.

Sixième jour

9h du matin, le vent est revenu ; pressés d’arriver, il nous a écoutés. Malgré nos coques de bateau très sales, plein d’algues et de coquillages, qui nous ont ralentis – mais ne sommes-nous pas escargots ?- nous arrivons enfin. Les dauphins nous accueillent ; à l’horizon : collines des Philippines sans sept arrière-plans. La Chine me manque ! Mais nous allons retrouver Toto à qui nous avions promis de revenir. Nous avons aussi rendez-vous avec l’équipage du voilier « Ouistiti » qui nous contacte par VHF dès que nous sommes à proximité de San Fernando; nous les avions rencontrés à Tahiti, revus à Pohnpei, en Micronésie, et retrouvés maintenant, aux Philippines, tout est si simple, non ?