La bienveillance des îles, leur protection, le calme du lagon, nous quittons tout cela avec la fin du jour, lorsque nous sortons du lagon : nous allons vers la nuit et la mer agitée ; c’est un brusque changement, une porte que l’on a poussé et qui se referme derrière nous, Très rapidement sur la mer, tous les signes de terre s’effacent et c’est la nuit et c’est la mer. La nuit et la mer, seules. Les mouvements incessants du bateau qui ôtent le sommeil, les pensées, la faim. Le bruit des vagues dans le noir et leurs crêtes blanches qui jaillissent du noir. Nous cherchons sur la couchette une position confortable pour dormir mais le pari est perdu d’avance. La navigation est rapide, hachée, secouée. Au fil du temps, elle devient de plus en plus lente, calme, apaisée, comme pour s’habituer au rythme lent du Vanuatu vers lequel nous allons, à la mer si vaste qui nous entoure ; la navigation prend un rythme lent et éternel qui permet de lire, d’écrire, danser, jouer, cuisiner….le rythme de la mer, celui du bateau, ralentira jusqu’à notre arrivée, jusqu’à ne plus avoir de vent, jusqu’au plat d’une mer plate. Triomphe de la lenteur, dans le giron de la mer.
Ces navigations entre deux pays sont un pays en soi, toujours le même, avec ses états d’âme, ses soubresauts, et ses calmes plats, on retrouve le pays de la mer comme une respiration attendue loin de l’attraction des humains, les laissant à leur sort sur la terre et nous, grandis, secoués, malmenés, dans notre sort de marins.
Un épanchement de soi pour mieux se vider, une retenue pour ne retenir que l’essentiel, le squelette, l’ossature. La mer est un épanchement de soi, une retenue de soi, un voyage entre la haute solitude et la promiscuité, on perd peu à peu tout contact avec autrui pour partir vers d’infinis soliloques, solitudes qui se diluent dans l’espace alentour, c’est un étalement de la pensée, une dilution, une perdition des sens, des mots, de tout ce savoir dantesque des livres, des universités.
C’est pourtant un livre qui lu et relu porte cette navigation vers les Vanuatu. Dés que nous avons retrouvé Noël au Tonga, nous avons reparlé de la conversation que nous avions eu à propos de ce livre, 9 ans auparavant. Depuis 2005 que j’ai lu « Raga » de Le Clezio, depuis 2005 nous allons vers les Vanuatu, avec ce livre, avec ses interrogations, toutes les questions sur l’indépendance d’un peuple, sa liberté, sa culture, ce qu’est l’âme d’un peuple et ce qui le fait vivre. Dans toute l’Océanie, ces questions se posent, et se reposent une fois la réponse donnée : libre, indépendant, avec sa culture, plus pauvre, ou bien plus riche, mais dépendant, que faut il choisir ? L’Océanie a été la proie des grandes puissances, encore maintenant, endroit stratégique entre l’Asie et l’Amérique, continent sous l’influence de l’Australie, de la Nouvelle Zélande, des Etats unis. Même libres et indépendants, les pays sont encore dominés, alors, que peut la magie noire contre la puissance de l’argent et du pouvoir ?
Vanuatu du nom du parti politique qui porta l’indépendance du pays en 1980, signifiant « notre pays » dans les dialectes du Nord, appelé autrefois Nouvelles Hébrides par James Cook et auparavant Grandes Cyclades par M de Bougainville, comment était appelé le Vanuatu par ses premiers habitants ?
J’ouvre une fois encore ce livre, corné, taché par l’humidité du bateau ; Surligné, annoté par mon père , c’est ce qui le rend le plus précieux. En pleine mer, l’île de Futuna est apparue, comme dressée d’un seul coup, faite d’une seule masse par son volcan, c’est tellement extraordinaire qu’on ne se lasse pas de regarder et regarder cette île, comme la concrétisation de tous nos rêveries sur le Vanuatu. La mer est couverte de particules grises, comme si c’était de la cendre du volcan. On dirait que le fond est proche , il y a pourtant des centaines de mètres dessous et seul un effet de lumière donne l’impression d’un sol, du sable, de la terre, de la cendre. Le sondeur indique 5 mètres de profondeur là où le fond est abyssal, c’est certain, le capitaine Némo nous suit dans son sous-marin, c’est ce qui brouille le sondeur, la baleine de Moby Dyck est sous le bateau, c’est certain, le vieux pêcheur attrapera le poisson et retournera à bon port.